Pochade radiophonique met en présence quatre personnages : Fox est quotidiennement interrogé par un Animateur et sa Dactylo, mais il ne parle que lorsque Dick, qui reste muet, le torture. On lui extorque ainsi des souvenirs, qu’il relate de manière confuse et peine à révéler « l’indice » que tous attendent sans savoir en quoi il consiste. L’Animateur et la Dactylo obéissent à des consignes strictes, émises par une autorité supérieure et interdisant par exemple que Fox puisse parler en dehors des séances, ou que soit noté avec soin autre chose – sourire ou larme – que ses paroles.
La brutalité de l’interrogatoire est rythmée par le bruitage terrifiant d’un nerf de bœuf manipulé par Dick et des cris et sanglots de Fox, tandis que l’Animateur, qui se plaît à évoquer Dante et Sterne, et la Dactylo se livrent à un coquin marivaudage qui frise le dialogue érotisé. La dernière réplique révèle que tous sont pareillement condamnés et privés de liberté, car ils dépendent de ce que Fox ne parvient pas à dire : « Demain, qui sait, nous serons libres ».
Cette pièce a le charme et l’autorité de l’ébauche, car le trait tire sa force de sa concision. Quelque chose s’y essaie, mais sans pudeur. Elle témoigne de l’intérêt que Beckett avait trouvé dans l’écriture radiophonique née pourtant de commandes pour la BBC. Cette pièce est écrite dans les années 60 où paraissent les premiers livres sur la torture en Algérie.
Ce que l’on souhaite faire fonctionner dans ce projet c’est la mécanique absurde à laquelle Beckett soumet ses personnages. Tous sont centrés sur un objectif : faire avouer quelque chose à quelqu’un mais nul ne sait quoi, pas même celui qui est torturé. Beckett, en séparant les individus du but de leurs actions, éloigne l’homme de son jugement et transmue les valeurs du bien et du mal, de l’humain et de l’inhumain, en des principes aberrants où seul le respect scrupuleux des consignes du protocole de torture s’avère bon. Dans cet espace où les valeurs traditionnelles implosent, il est plus important pour l’Animateur de flirter avec sa Dactylo et de faire l’étalage de son érudition littéraire ou de manipuler ce malheureux Fox plutôt que de maintenir un homme vivant. En jouant sur des contrastes saisissant, nous souhaitons provoquer sur le spectateur, un rire qui démasque la bêtise « inhumaine » qui se déploie à des endroits dérisoires et protocolaires, qui isole les individus jusqu’à creuser un déficit irrémédiable de compassion.